Cécile Marie
biographie et critiques
 

Ancien élève des Beaux-Arts de Paris, Cécile Marie a pratiqué la peinture, le dessin, la mosaïque et la calligraphie chinoise. Mais depuis 1991, elle est fascinée par le papier carbone qu'elle travaille par pliage, en assemblant les feuilles les unes aux autres. Elle obtient ainsi de longues compositions noires ou monochromes, en forme de croix ou de bandes d'une dizaine de mètres, dont le thème dominant est la ligne. Au delà de leur apparente austérité, ces oeuvres ont une foisonnemente richesse et s'inscrivent dans cet art de l'écriture et du signe qu'affectionne la maison des Arts d'Evreux.

Revue Art et Culture - janvier 1998

Bernard Fauchille
Conservateur des Musées de Montbelliard

Au travers des oeuvres de Cécile MARIE, on peut distinguer une étrange insatisfaction : dessins érotiques de 1987, carbones froissés et collés de 1993, encres sur polyester de 1998, signes peints sur bandes de tissus (actuellement). J'ai le sentiment de discerner une certaine inquiétude : le besoin d'exprimer l'amère constatation du temps qui passe, de l'instant qui ne dure pas, du plaisir qui peu à peu se dissout et disparaît. L'érotisme, on le sait, n'est pas séparable de la mort, les carbones froissés et collés illustrent à mes yeux cette perception presque physique du temps qui s'écoule, toujours identique à lui-même, toujours différent à nos yeux. Les signes (certainement inspirés des arts africains) sur de longues bandes de tissus évoquent un autre propos : affirmer - par le geste et par la répétition - la présence de l'artiste, au long d'une oeuvre qui nous demeurerait définitivement lointaine,
mais chargée d'un sens qu'on ne déchiffrera jamais totalement, comme un livre écrit dans une langue archaïque, d'une antique civilisation disparue. Et cette présence de l'artiste, dans son geste créateur, rejoint ici celle du musicien, ou de l'écrivain : le temps est constitutif de l'oeuvre, il impose un début et une fin, une succession de séquences que l'on peut morceler sur la toile, jusqu'à la trace élémentaire : le coup de pinceau chargé de pigment, qui fonde l'espace de l'oeuvre, le déroulement des diverses phases, et qui engendre un nouveau plan - aussi ténu soit-il - sur la surface de la toile. II ne s'agit pas d'un refus, ou d'une destruction du temps, mais plutôt d'une maîtrise de cet élément extérieur à nous, inexorable, proche parent du Destin, et du Hasard. Le temps, comme dans une sonate ou un roman, bâtit l'oeuvre, et puisque lui et nous vivons dans l'instabilité et l'impermanence des choses, devant les ceuvres de Cécile MARIE en particulier, ne sommes-nous pas en train de nous mettre à l'unisson de rythmes inconnus, imperceptibles, continus, derrière le désordre que nous propose le monde visible...
Ordre et chaos, un dialogue sans fin ?

Extrait de Catalogue "Cécile Marie" - Evreux 1998.

Philippe Piguet
Critique d'Art

Que c'est une pratique qui va et qui vient au fil du temps. Il ne s'agit pas pour autant ici d'une écriture personnelle mais plutôt d'une tension entre le plan de l'image et la peinture. D'un étirement que valide son projet d'une ligne sans fin quand bien même il reste une simple vue de l'esprit, le moteur du travail.

La ligne n'est jamais le motif; elle est la motivation profonde qui guide l'artiste à l'œuvre. Tantôt trace, tantôt sillon, elle n'inscrit pas la surface, elle lui confère un relief en cherchant à faire corps avec le support sur lequel est déposé le carbone. Cette relation physique entre les éléments n'est pas abstraite mais contingente. De son accomplissement dépend la réussite du travail, son gain. Celui d'une densité, d'une résistance. En cela, les oeuvres de Cécile Marie ne procèdent d'aucune espèce de minimalisme elles ne sont faites que lorsqu'elles n'incarnent que leur propre présence. Pour cela, elles en appellent à une mise en acte du regard,. le mouvement d'approche le conduisant à l'intérieur de l'œuvre, non hors d'elle.

Parce que ces peintures ne montrent pas l'abstraction de quelque chose et que les mots eux-mêmes butent dessus avouant leur impuissance, sinon leur vanité, elles renvoient à la priorité fondamentale du regard, à la formation et à la clarification de ce qui est vu lors du processus visuel. Le regard est ici formateur de la chose vue et c'est dans cet échange entre le regardeur et l'objet regardé que tout se joue et se déjoue, se noue et se dénoue. Dans cet échange que se trame et se tisse quelque chose d'une nécessité d'être dont ces peintures au carbone sont l'image assourdie. L'image béante d'un espace et d'un temps antérieurs qui se dresse comme une surface abrupte.

Extrait du catalogue "Cécile Marie, Carbone" - Cherbourg.1995

 

Marcin SOBIESZCZANSKI
Linguiste

(...)L'introduction à l'oeuvre de CECILE MARIE , aurait dû commencer comme le prologue aux leçons de 1907, "chose et espace" de HUSSERL. Il y a un monde, il présente un spectacle de formes, de teintes, de texture, il est traversé de connexions causales, nous avons notre place comme le centre dans ce monde qui est notre environnement, nous et nos semblables partageant le même espace ambiant commun.

On aurait ajouté qu'à force de bien regarder, ce monde s'avère être beau, et que certains sont appelés à distinguer cette beauté et à la reproduire. On ne sait pas pourquoi le discernement de qualités, soient­elles esthétiques, est l'élément quasi obligatoire dans le topos du monde pré-donné. La compétition des artistes se base sur les différences de l'acuité sensorielle (pour la plupart). Celle-ci est donc une sorte de lunette pour la percée artistique, c'est-à-dire, pour la vision de ce qui d'ordinaire "ne se voit pas"...

Mais voilà, un certain nombre d'artistes, fort restreint, a commencé autrement. il ont fait abstraction non de certaines qualités mais de ce monde pré-donné tout entier, y compris le "moi" confortablement installé là dedans. La résorption du monde crée un dramatique abîme à telle enseigne que les échos du big bang .

dévastateur induisent maléfiquement les biographies des artistes concernés.(...)

Extrait d'un catalogue "Cécile Marie" - 1989